— Delphine Bedel

Press: Playtime in Orange (FR)

Catalogue: Exposition ‘Disobedience’ An ongoing  video library
Commisaire: Marco Scottini. 13 Janvier 27 Fevrier 2005
Kunstraum Kreuzberg/Bethanien
& PLAY Gallery, Berlin

Playtime in Orange
Texte de Jota Castro

La désobéissance est à l’ordre du jour. Si elle se manifeste de façon globale, il me semble qu’elle s’apparente avant tout à un nouvel individualisme qui génère un désir de changement en particulier en occident, lieu de toutes les contradictions, lieu où les formes les plus conservatrices de nationalisme se mêlent à la peur d’un monde beaucoup plus ouvert que celui que nous proposent les idéologies dominantes de notre siècle.

C’est probablement pour cette raison que le milieu artistique, individualiste par nature, se découvre un énorme potentiel de contestation, s’apercevant en cours de route que les relents idéologiques du siècle dernier peuvent servir de base visuelle à de nouvelles formes d’expressions artistiques.

Comment faire pour que cette trouvaille soit autre chose qu’un simple decorum ?

Comment éviter que les lacunes idéologiques soient la seule chose que le temps préservera de la majorité des travaux artistiques à base politique conçus de nos jours ?

Je ne pose pas ces questions pour y apporter des réponses immédiates mais pour servir de base à l’avenir. Toute réponse immédiate ne pourrait d’ailleurs être basée que sur l’empathie ce qui ne me plaît guère.

Mon choix pour le projet Désobéissance naît de mes propres doutes face à la façon dont ce type de comportement social est reflété dans le domaine artistique. Mon projet prend corps dans la confrontation de différentes vidéos. Celles choisies par Pierre Olivier Rollin montrent certains temps forts de la contestation belge, classiques de part leur facture, représentatives de grèves, jouant sur des formes qui en aucun cas ne peuvent être isolées de leur contexte social.

Ma vidéo Eurotrucks fut réalisée pendant la grève des camionneurs européens en 2000 qui bloqua la capitale de l’Europe pendant plusieurs jours. Cette vidéo montre des camions jouant une partition pour klaxons dans la rue de La Loi, siège de la Commission européenne. L’idée en est simple : confronter la brutalité de ce blocus avec la vision légère et surprenante d’une jeune femme dirigeant 5 camions apportant ainsi un peu de gaîté à une situation qui devenait oppressante pour les grévistes, les habitants et les fonctionnaires du quartier communautaire, lors d’une action qui fut l’une des premières grèves conjointes de l’histoire de l’Union européenne.

Le choix de Pierre Olivier Rollin et le mien montrent des moments forts de la contestation dans la vie politique du Benelux.
Le troisième volet de ma sélection présente lui une nouvelle manière de montrer la Désobéissance, sans virilité apparente, sans besoin d’exprimer une colère messianique face à une caméra. Ces choix permettent certainement de confronter l’origine de notre colère générationnelle avec la réalité du contexte social européen en 2005.

Playtime, la vidéo de l’artiste française Delphine Bedel, montre le corps nu d’une jeune femme sur un écran tandis que sur un autre écran défilent les images d’une ballade dans la ville de Nagele en Hollande. Nagele est une ville gagnée sur les polders et créée de toute pièce pour correspondre à l’utopie de la ville moderne du siècle passé, égalitaire, ennuyante, sans contradictions et peuplée d’habitants triés sur le volet selon des critères de sélection stricte inimaginables pour une personne saine de corps et d’esprit en 2005 : même religion, même classe sociale, mêmes racines, mêmes critères de santé, même respect de la tradition pour tous. En me relisant, je m’aperçois que ces critères ressemblent beaucoup à l’idée de base du processus de sélection des nouveaux membres de l’Union européenne.

C’est là que Playtime jouent à fond sur le désir de changement, celui-là même que les Ukrainiens expriment en arborant la couleur orange dans les rues de Kiev aujourd’hui. Le corps nu d’une femme, imparfait, parsemé de nombreux grains de beauté, comme abandonnés sur une surface blanche, un corps opposé à la ville de Nagele qui glisse dans un ennui continental, égalitaire, qui glisse dans un désir de ne pas perdre ses acquis, de ne pas perdre ce qui fait de l’Europe un modèle de progrès social, de ne pas perdre ce qui nous rend vulnérable face à ce qui semble ne pas préserver le passé, ce qui désobéit. Une main d’homme trace des lignes irrégulières sur les épaules nues, elle ne respecte aucune frontière, elle ne respecte pas la logique établie, elle ne demande aucune conservation, elle cherche au contraire dans ce désordre le changement.

C’est pour cette raison que Playtime est un de mes chocs artistiques de ces derniers temps. Sa vision provoque en moi le désir de tout rompre ; elle justifie le premier changement : celui de l’individu, celui qui est indispensable pour pouvoir être intellectuellement honnête avec son temps. Ce dos nu c’est notre continent, la main qui trace les lignes représente la recherche générationnelle du progrès social et Nagele c’est la monotonie de l’Europe d’aujourd’hui.

Que Désobéissance soit le début d’une recherche et non la preuve d’une supériorité intellectuelle, c’est tout ce qu’on peut demander à cette année 2005 qui commence.

Installation view

Play videos